Les affiches de sports d'hiver (2/2)

Les sports d’hiver et l’affiche,
quel impact des sports d’hiver sur l’univers de l’affiche publicitaire et touristique ?

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Les premières affiches annonçant les nouveaux plaisirs de l’hiver arrivent à la toute fin des années XIXe. Ces oeuvres coûteuses naissent au moment où l’enjeu économique et financier est suffisamment important pour en justifier la réalisation, car elles sont en effet très chères à produire. Il est alors facile de mesurer l’importance que gagne l’hiver dans le tourisme : elle correspond à la place qui lui est consacrée sur les affiches.

À l’origine et de manière générale, les affiches touristiques sont avant tout des éléments de présentation des horaires de chemin de fer, mais avec le développement du voyage d’agrément, elles deviennent de plus en plus décoratives : l’industrie du tourisme voit apparaître de nouvelles formes de loisirs et l’affiche ne doit plus seulement informer mais également séduire.
Les halls des gares sont historiquement les premiers musées de l’affiche : ils présentent chaque jour sur papier les panoramas en vogue aux yeux des voyageurs. Avant 1900, les affiches de sports d’hiver demeurent d’une grande rareté et couvrent en même temps les saisons d’été et d’hiver, les stations n’ayant pas les moyens de s’offrir des affiches différenciées.


L’horaire et la carte de la région sont bientôt relégués au bas de l’affiche, avant de même tout à fait disparaître. Par souci d’économie, les artistes proposent dans un premier temps des œuvres « patchworks » : sur une même affiche, deux, trois, quatre et même jusqu’à vingt sites ou panoramas sont représentés sous forme de mosaïques de vignettes de bon et parfois moins bon goût. Très vite, les affiches donnent à voir scènes de patinages et blancs sommets au milieu des habituels paysages estivaux. Parmi tous les paysages plus ou moins exotiques que peuvent admirer les voyageurs du P.L.M., les Alpes font désormais partie des représentations les plus familières. À sa guise, on peut visiter sur les murs les luxueuses stations à la mode et admirer leurs hôtels majestueux.
En 1890, les sports d’hiver occupent un sixième de l’espace d’une affiche faisant la promotion des séjours à Davos, contre plus de la moitié seulement quelques années plus tard. Il en est de même en France avec Font-Romeu, qui dispose très vite de ses propres affiches pour la saison d’hiver.


Par ailleurs, avant d’être presque toutes détrônées par les représentations de ski alpin, les activités hivernales sont particulièrement variées au début du XXe siècle. Sur le même modèle économique, la plupart de ces loisirs sont alors représentés en même temps sur une seule affiche, élargissant la palette de distractions offertes aux touristes, cette fois réunies autour d’une seule et même saison, l’hiver.

Plus les loisirs relatifs aux sports d’hiver sont à la mode, plus les affiches sont nombreuses. Conçues pour être vues et admirées, elles participent au changement absolu de perception de l’hiver (évoqué dans la première partie de nos articles consacrés aux sports d’hiver), et occupent les places centrales des murs des villes, gares, agences de voyage, office du tourisme… Leur développement accompagne le formidable engouement autour de ces nouvelles activités hivernales qui gagne une société en pleine évolution.



Tirées à quelques cinq mille exemplaires, les affiches de la compagnie P.L.M. ont par exemple une durée de vie d’environ trois ans, une période relativement courte pour l’époque au vu du coût de fabrication de ces dernières précédemment évoqué. Le goût du jour évolue rapidement et les artistes doivent alors sans cesse se mettre à la page, ainsi que réinventer de nouvelles formes de présentations toujours plus audacieuses. Les affiches de sports d’hiver représentent immanquablement des paysages montagneux et enneigés, et ces derniers deviennent le sujet favori des maîtres de l’affiche. Il fait toujours beau sur ces paysages idéaux offerts à la rêverie des voyageurs.


Ce sont d’abord les peintres, à l’instar d’Hugo d’Alési, qui ouvrent ce nouveau genre et lui donnent ses premières lettres de noblesse. Puis aux inlassables représentations de paysages pittoresques et paisibles, succèdent alors des fantaisies graphiques et l’apparition d’une nouvelle dimension, celle du mouvement. En effet, l’image s’anime et les touristes en sont désormais acteurs : ils figurent au premier plan des compositions, rendant ainsi la montagne vivante. Dès la fin XIXe siècle, le skieur fait son apparition sur les affiches, présentant une vision idéalisée de ce nouveau sport somme toute très technique.


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Entre modernité et tradition, contemplation et action, ou encore entre réalisme figuratif et humour, la production graphique mondiale est étonnante.
Sur l’ensemble de la création artistique relative aux sports d’hiver, il est difficile de distinguer de véritables tendances (hormis celles issues des grands courants artistiques historiques), il est cependant possible de dégager plusieurs grands thèmes récurrents. Cette production est en effet d’une très grande diversité, même au sein d’un même pays ou d’une même région.

Au tournant des XIXe et XXe siècles, la rencontre des sports d’hiver et de l’affiche, est marquée par le délicat mouvement Art Nouveau, reflet du luxe qu’ils incarnent. Retardé par la première guerre mondiale, le tourisme hivernal va connaître ensuite un nouvel essor entre 1920 et 1930, et ces années représentent par ailleurs l’âge d’or de l’affiche touristique, dont les affiches de sports d’hiver représentent un pan très important. Aussi, les années de l’entre-deux-guerres accompagnent l’émergence de l’Art déco, un style caractéristique notamment marqué par un ordre géométrique rigoureux, une simplification des formes, ou encore une prédominance des angles et des lignes droites. L’esprit de très grande élégance que l’on attribue à ce style convient  par ailleurs parfaitement au monde des sports d’hiver.

À ce moment là, bien que déjà présentes dès le début des affiches de sports d’hiver, les figures féminines apparaissent sous un nouveau jour ! La naissance des sports d’hiver coïncide en effet avec une certaine émergence du féminisme. Sans se soucier des conventions, les affichistes admettent que les femmes sont libres de s’adonner aux sports d’hiver et n’hésitent pas à les représenter. Les artistes intègrent les femmes dans à les activités hivernales, les sortant des rôles dans lesquels elles sont habituellement réduites dans les affiches parisiennes… Le ski est par ailleurs pour la femme une formidable occasion d’affirmer sa liberté et sa volonté à travers le sport. Elles se font aussi séductrices, destinées à la clientèle masculine. Les charmantes skieuses deviennent ambassadrices du bon goût et incitent la clientèle tant masculine que féminine à rejoindre les stations, comme c’est le cas par exemple sur les mémorables affiches de Martin Peikert.


Les œuvres de Peikert sont également empreintes d’une touche d’humour que l’on retrouvera  sous différentes formes dans celles de bon nombre d’autres artistes. Celle-ci répond à l’un des grands thèmes associé aux sports d’hiver, la joie de vivre. Bains de soleil, grand air, santé sont évidemment de la partie, et les compositions sont peuplées de nouvelles figures apportant gaieté et légèreté : les enfants. Pratiquant la luge et les batailles de boules de neige, ils apportent une charmante touche d’innocence et les séjours aux sports d’hiver commencent à être associés aux vacances en famille. Quasiment exclu des affiches jusqu’alors davantage destinés aux couples, l’enfant fait son apparition à partir des années 1930. Quelques dizaines d’années plus tard, dans les années 1950 et faisant écho à l’univers enfantin, les animaux font à leur tour leur entrée en scène comme on peut le voir notamment chez Herb Leupin ou toujours encore chez Martin Peikert.



Dans un autre genre, Samivel incarne dans les années 1950 en France l’une des grandes figures de l’affiche de sports d’hiver. Ses œuvre sont marquées par un sentiment de magie tout à fait unique et un appel à la contemplation tous deux portés par des couleurs douces. Ce type de productions véhicule des valeurs de simplicité, d’effort et de respect de la nature auxquelles sont sensibles les sportifs privilégiant une approche paisible de la montagne.



D’autres affichistes vont au contraire privilégier l’approche de l’action, de la vitesse et de la technique et ainsi proposer des compositions aux structures fortes. Ils se doivent alors tant d’illustrer parfaitement la pratique du sport que de reproduire fidèlement les spécificités des paysages.

La montagne prend une place prédominante dans les destinations touristiques et donc sur les supports publicitaires. Les nouvelles installations attractives qui découlent de ces pratiques offrent également de nouveaux sujets aux affichistes : trains à crémaillère et funiculaires se doivent d’apparaître sur les publicités des stations. Les sports d’hiver deviennent un tel phénomène que pour se faire connaître, les stations, historiques ou plus récentes, ne se contentent pas d’effectuer de nombreux et coûteux travaux d’aménagement, mais se lancent  également dans de grandes campagnes publicitaires, théâtre de l’évolution d’un nouveau genre et d’une forte modernité graphique qui dureront tout au long du XXe siècle.

Les affiches de l’époque pionnière des sports d’hiver constituent une archive précise de l’histoire du ski et de ses progrès. À partir des années 1900, le tourisme est totalement bouleversé : la montagne d’été n’est plus la seule à profiter des honneurs des touristes, et par conséquent, de l’affiche. Cette dernière suit par définition les goûts et les modes de très près. Mettant à son service toutes les ressources de l’art et du commerce, elle est un fascinant révélateur social, témoin unique d’enjeux  économiques, touristiques et culturels. L’art de l’affiche obéit également à ses propres codes, à sa propre histoire, et les compositions liées aux sports d’hiver forment un ensemble unique, retraçant une épopée sportive et humaine d’envergure mondiale.

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